Disque ami : Jean-Jacques Birgé, Centenaire de Jean-Jacques Birgé
   
 

Le système décimal a permis de régulières extravagances faisant mine d'une division naturelle du temps, l'une des plus notables : la célébration des centenaires. Le nombre 100 atteint alors un cap mémorable, celui de l'indépassable dépassé. Jean-Jacques Birgé, on le connaît bien - depuis toujours pourrait-on dire - pour son œuvre prolifique, œuvre d'affût, œuvre critique certes, mais œuvre joueuse et curieuse d'un jeune homme qu'on n'avait pas vu vieillir. Voilà donc centenaire cet admirateur de Cocteau et nous, emportés dans le miroir (un tantinet machiavélique ?)* qui nous entraîne avec tendresse vers les chemins passés et avec agitation (free) vers ceux du futur.

Dans la musique de Jean-Jacques Birgé - et ça justifie parfaitement ce disque -, le présent ne tient pas en place, on est toujours dans l'instant d'après, lequel se perche dans l'instant d'avant. 10 morceaux chapitrent l'ensemble, de 1952 (après recherches, il s'agit d'une probable date de naissance - ce qui éloigne la parenté supposée de Jean-Jacques Birgé et de Phrynichos) à 2052 (pour cette date les investigations vont bon train). Expérimentations pop, contes musettes, psyché rock free, nouvelle vague twistée : les images ont des dents. Comme lors de certaines fêtes, de réunions où tout s'entrechoque avec une douce grâce nostalgique d'ombres heureusement incarnées, on est heureux de retrouver Birgé et ses compagnes et compagnons, le temps d'un échange : Elsa Birgé, Nicolas Chedmail, Michèle Buirette, Jean et Agnès Birgé, Hervé Legeay, Vincent Segal, Cyril Atef, Bernard Vitet, Didier Petit, Pascale Labbé, Philippe Deschepper, Yves Robert, Éric Échampard, Birgitte Lyregaard, Sacha Gattino. "Les années 2010 (Contretemps)" - morceau de l'ensemble à la plus longue durée au lyrisme clairvoyant - là, l'album prend un tour différent précisément lorsque l'on se retrouve dans cet instant présent délicat à stabiliser. La brume des platines d'Amandine Casadamont s'épaissit de tous ses détails, emporte les souvenirs proches, transformant les certitudes en futur indicatif et les réalités en verbe provisoire. Seul rescapé d'avant le fameux contretemps, Antonin-Tri Hoang se retrouve de l'autre côté de l'histoire, sentiment de bref jonction des années 2040. Puis revient à Sacha Gattino le 11e titre, l'image finale affinée, le Tombeau de Jean-Jacques Birgé. 100 est un nombre dit entier et, comme tout ce qui est entier, aime voir les choses évoluer vers leur épanouissement. En un rêve bien éveillé, Jean-Jacques Birgé se saisit d'une histoire qu'il ne laissera pas être ravagée pour en chercher les passages fructueux. "Rêve en technicolor ? Ne pensez qu'à l'amour ?"

L'album est disponible en "ligne" comme le disent les pêcheurs de futur, mais on aurait bien tort de ne pas l'acquérir en "physique" comme le disent les partisans du corps, car il est difficile de penser cette écoute sans prendre dans ses mains de temps en temps le livret (acte conjugué et déterminé-déterminant) réalisé par Etienne Mineur.

* Jean-Jacques Birgé et Bernard Vitet sont les auteurs avec Un Drame Musical Instantané de Machiavel (GRRR 2023)


 
Centenaire de Jean-Jacques Birgé (GRRR 2030), disponible aux Allumés du Jazz
 
 
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